la vie d'un peintre est peu de chose
emplie simplement d'un travail journalier, obligatoire
d'un geste et d'un regard
pour ne pas dépérir
et mettre à l'épreuve son corps pour en reconnaître les limites et la force
chaque journée passée
est une journée de travail
d'observation et de silence
il s'agit de prendre la mesure du temps
la dimension de l'espace
et d'un corps...
il aplatit la perspective
décrit la spirale du temps
dissimule sous les voiles de ses glacis le monde auquel il rêve perdu au fond de sa mémoire
une boîte à souvenirs, mal rangée
ce sentiment de la nécessité absolue de découper un morceau de terre
sans horizon
sans soleil
de réduire le monde au cadre de son châssis
cela devient une obsession ...
le geste du peintre est vif et économe
des perspectives sans relief
des profondeurs sans ombre .
la campagne est imaginaire , recomposée des souvenirs
mêlés des jours , des lumières et des lieux
les paysages ressurgissent des aplats saturés, aux courbes sinueuses
confond les jours
les heures et les endroits, les années et les pays
les moments de la vie
dans la profusion
seule ligne qui devient une arabesque
il l’étire, aux quatre côtés de la toile
chuintement chorifié …
les traits s'entremêlent
se croisent selon le hasard du geste
la surface de la toile recouverte s'éclaircit par endroits
laisse apparaître les arrière-plans dissimulés
au creux de ce paysage
dans le vide qui nous entoure
et du plein qui nous cerne
corps dessinés d'un seul trait, en une longue et spirale
enroulée
sur elle-même et le vide
à l'image du nœud de möbius, pour lequel le dedans vaut le dehors, l'envers vaut l'endroit, où le contenu devient un contenant
un remous sans fin
au cœur d'un paysage imaginaire
celui de notre mémoire
qui se joue de nous, nous confond et nous laisse un souvenir équivoque
l'ambiguïté
d'une poésie lointaine
ce siècle passé nous a fait croire que la science avait pris le relais
et que seule la logique pouvait rendre compte du monde qui ne pouvait être que technologique
et rationnel
oubliant peut-être un peu vite
nos états d'âme et nos rêves impossibles
quelques signes raturés peuvent en dire autant qu'une équation mathématique
en quelques traits, cerner un empire plus vaste qu'aucun homme n'ait jamais possédé
c'est bien là le succès et le rôle aujourd'hui perdu et oublié du peintre, de sa capacité à la synthèse abstraite et absolue
le peintre de ce partage
celui de la pensée et de l'impression
de l'abstraction et du désir
entre la mise au carré et l'échappé belle
l'incontrôlable, l'indistinct, le diffus et l'infini
le trait s'épaissit
l'aplat s'étend et s'empâte
il a besoin de la lourdeur de la matière ...
et pourtant au fond elle ne lui convient pas
tiraillé entre le besoin de contenir son expression
de la lisser
et le besoin irrépressible de charger le lin comme si celui-ci pouvait devenir à son tour une terre de labour
c'est ainsi que le dessin devient une géographie
les compositions découpent le paysage en parcelles
géométrique circulaire
comme l'univers
sans points cardinaux
il recompose l'espace et lui donne ses dimensions
de la finitude infinie
la sagesse et la folie